28 septembre, 2007

Chronique New Yorkaise #3


Rosh Hashana
& Yom Kippour à la sauce Big Apple:


Dans une ville comme New York, qui pendant longtemps comptât plus de Juifs que l’Etat d’Israël, les fêtes juives de début d’année sont assurément source de spectacle, ou tout du moins catalyseur d’images mémorables. Et cette année encore ça n’a pas raté.

Pour le premier soir de Rosh Hashana (le nouvel an Juif, fêté deux soirées de suite), j’étais invité chez mon ami et voisin de quartier Yonathan, qui avec sa femme constitue peut-être le couple le plus hospitalier que je connaisse. Ce soir-là on comptait chez eux une demi-douzaine de Juifs allemands, une poignée d’Israéliens, et encore quelques coreligionnaires de France et des Etats-Unis. Une joyeuse bande âgée de 1 à 60 ans, répartie sur trois tables qui bientôt s’ornèrent de challah (pain traditionnel juif), gefilte fish (carpe farcie, emblème de la cuisine Juive d’Europe de l’Est malgré quelques détracteurs) et couscous (plus populaire sur la rive sud de la Méditerranée).
Le doyen du dîner, israélien, se fendit d’un discours sur la valeur métaphorique du repas traditionnel du nouvel an, la pomme au miel appelant une année douce tandis que les grains des grenades devaient éclairer le passage à l’abondance et à la fertilité.
Puis le vin coula, recoula, et l’on roucoula presque de bonheur. Juifs venus du monde entier réunis autour d’un rite commun, heureux d’embrasser la chaleur collective et d’y ajouter leur grain de sel.

Le lendemain, changement de décor alors que j’étais invité pour un déjeuner tardif chez les parents d’une amie, dans le New Jersey, à une petite heure de Manhattan après l’Hudson River. Je pourrais planter le décor en évoquant le green de golf dans le jardin, mais je commencerai par les pièces que j’ai visitées d’abord. La cuisine et le « petit » salon (par opposition au « grand » où nous arriverons plus tard) constituaient déjà un espace plus grand que mon appartement de l’East Village. Puis vint la salle à manger au milieu de laquelle trônait une imposante table en bois pouvant accueillir une quinzaine de personnes. Je découvris ensuite le « grand » salon, deuxième espace plus grand que mon appartement, et les collections d’art japonais des parents de Marisa. Du sous-sol je ne me rappelle à présent que la table de billard, les équipements de sport, le sauna et la salle de boxe, mais peut-être quelque élément échappe-t-il à ma mémoire. Ayant déjà parcouru quatre fois la superficie de mon chez moi, je découvris plus tard le jardin, sa somptueuse piscine et son petit practice de golf sans avoir eu la chance d’aller au deuxième étage voir les chambres.
Marisa habitant à Manhattan depuis plusieurs années, seules quatre personnes (ses deux parents, son frère, sa soeur) vivent désormais dans cette maison. Pour le déjeuner, un oncle, un cousin et le grand-père étaient également présents. Mais malgré cela je ne pouvais m’empêcher de ressentir une sensation étrange. L’immensité de l’espace comparée au microscopique nombre d’occupants me fit penser à un gamin qui aurait voulu enfiler le costume de son père pour s’amuser, pour jouer au grand.
Et pourtant, le New Jersey regorge de coins comme celui où vivent les parents de Marisa, parsemés de gigantesques maisons pour tous petits habitants. Plus d’une semaine après je m’interroge encore sur cette folie des grandeurs américaine, qui m’apparaît souvent incompatible avec une riche et heureuse vie sociale. Moins de 24 heures après l’entassement international et imbibé de la veille, le contraste était en tout cas frappant.
Vers 20h je repartais finalement à Manhattan. La chaleur moite du métro, des jeans troués par-ci, des cheveux mal coiffés par-là. Peut-être même une légère odeur de pisse. Le sourire me montait aux lèvres, j’étais enfin rentré chez moi.


Huit jours plus tard le peuple Juif était invité à fêter Yom Kippour, le « Jour de l’Expiation », lors duquel l’on est sensé jeûner et prier Dieu d’accepter notre repentance afin de commencer la nouvelle année vierge de tout pêché.
Pour ma part, je me rendais pour la seconde année consécutive chez la cousine de mon père, Rita, vivant elle aussi dans une trop grande maison du New Jersey. Alors que mes grands-parents avaient quitté l’Egypte en direction de la France, Rita et son mari ont choisi le Nouveau Monde dans les années 60. Avant de se retrouver en Avril dernier, Rita et mon père ne s’étaient pas vu depuis la Bar-Mitzvah de ce dernier en 1967. Une bagatelle de 40 ans.
Mais les liens du sang sont plus forts que quatre décennies et toute l’eau de l’océan Atlantique. Quand j’ai rencontré Rita en arrivant à New York elle m’accueillit à bras ouverts. De nulle part je me retrouvais à table avec des membres de ma tribu, inconnus la veille, Américains pure souche pour les enfants, dans les veines desquels coulait le même sang que le mien. Leur grand-mère était la sœur de mon grand-père Albert. Avaient-ils imaginé, se baladant dans les rues du Caire, que leurs descendants se retrouveraient pour célébrer le jour le plus important de la religion Juive ?
Dans un autre registre, je doute qu’ils aient imaginé qu’en 2007, aux Etats-Unis, la dernière tendance dans le milieu Juif serait de faire porter des kippas aux femmes. Si en France cette démarche se retrouve peut-être du côté des Juifs libéraux, je parle ici de Juifs et Juives on ne peut plus traditionalistes.
À voir cette femme aux cheveux longs surmontés d’une kippa blanche, se balancer intensément, faisant flotter son immense châle de prière brodé de lettres hébraïques de couleur parme, je ne pouvais m’empêcher d’admirer cette liberté typiquement américaine, symbolique de ce pays jeune qui parce qu’il n’a que peu d’histoire semble croire que tout peut arriver au présent.
Beaucoup d’autres femmes – pas toutes – portaient elles aussi une kippa, ou tout du moins une légère pièce de tulle pliée en trois et brochetée aux cheveux. Rita était de ces dernières. Passée la première demi-heure de surprise, le reste de mon temps à la synagogue fut tout ou presque consacré à me délecter du spectacle de rousses, brunes, blondes, jeunes, âgées, mariées, fiancées, veuves, libertines, arborer fièrement une marque de respect pour Dieu souvent réservée aux hommes.

La cérémonie se termina sur une autre originalité, le Rabbin appelant à l’estrade toute personne disposant d’un chofar pour souffler la fin du jeûne, tâche qui jusqu’alors me semblait réservée à un spécialiste affilié à la synagogue. Après un repas bien mérité chez Rita, je pouvais reprendre la route de Manhattan, antichambre d’une nouvelle année de pêchés et autres bonnes actions.


Un Lieu:

Les Bains Turcs sur East 10th St, entre Avenue A et 1st Avenue.
Intemporel, ce refuge pour New Yorkais aspirants au bien-être vous soigne plutôt deux fois qu'une. Sauna, hammam, salle turque (une sorte d'Enfer en plus petit) et piscine glacée sont autant d'outils à détendre votre corps. Mais reste encore l'âme, et là c'est l'atmosphère générale qui fera effet. Outre que l'endroit pourrait être le sous-sol d'un bordel russe, avec tuyauterie apparente et ruisselante, la population qui s'y prélasse offre un tel spectacle que l'on en est reconnaissant à la vie de faire se côtoyer de tels êtres. Cela peut-être un jeune Juif orthodoxe qui semble d'autant plus nu sans ses accessoires de prière, un couple de tatoués dont on jurerait qu'ils se faisaient une soirée overdose la veille, un black bodybuildé se rasant méticuleusement le crâne, ou encore un gros quinqagénaire se versant deux seaux d'eau glacée sur la tête sans sourciller.
Relaxé et rêveur, vous pourrez finir en beauté en commandant à la petite cafete une assiette de hareng fumé ou des boulettes de viande façon grand-mère.


Une Photo:

La vitrine de chez Katz. Mai 2006.

11 septembre, 2007

Chronique New Yorkaise #2

(Le 11 Septembre)

Cela fait six ans aujourd’hui. Bien que la ville semble vivre normalement, je devine que l’attaque du World Trade Center est dans beaucoup de têtes. Comment pourrait-il en être autrement ?

Ça a commencé ce matin quand j’allais chercher mon premier cappuccino de la journée. Mon amie Shilat, la propriétaire du charmant café au bas de mon immeuble, me demande où j’étais ce jour-là, avant de se rappeler que je ne vivais pas encore à New York. Alors c’est elle qui m’a raconté.
Le matin du 11 Septembre 2001 Shilat était dans un hôpital dans l’Upper West Side car son mari devait se faire opérer. Par chance, il était programmé tôt dans la matinée. Quelques heures après, il n’est pas certain qu’il eût trouvé quelqu’un pour s’occuper de lui.
Puis elle me raconta comment le directeur de l’hôpital est passé d’étage en étage, de service en service, pour expliquer avec sobriété que si certains patients pensaient pouvoir se passer de soins dans l’immédiat, il serait bon qu’ils laissent leur place.

Plus tard dans la journée, à l’université, mon amie Mary Jeys nous racontait à moi et à d’autres étudiants comment elle se sentait proche de la nausée depuis le matin. La surabondance de sujets diffusés à la radio et à la télévision avaient passablement assombri son humeur.

Cette année, le 11 Septembre est un jour nuageux et pluvieux. Très gris. J’ai lu dans les journaux que certaines personnes, parents et proches des victimes, ne voulaient pas être heureuses aujourd’hui, ne voulaient pas écouter les conseils les exhortant à passer le cap, à avancer. Ils ont sans doute été bien aidés par ce ciel qui semblait pleurer toutes les larmes de son tumultueux corps.

Sinon New York is New York. Dans le métro, beaucoup de Juifs étaient plongés dans leurs livres de prières, en préparation de la célébration, demain, de Rosh Hashanah (le Nouvel An juif). Une femme Noire arborait fièrement une étoile de David dorée en pendentif.
Le reste du spectacle est similaire à celui de tous les jours : un florilège de races, de genres, d’âges, de styles. Toutes et tous dégageant la fascinante impression d’accomplir jusqu’à la dernière goutte cette drôle de chose qu’on appelle la Vie.


Un Restaurant:

Max, sur l'Avenue B entre East 3rd et East 4th.
Un italien très bon et pas cher. Vous me direz il y en a un plus d'un. Pas faux. Celui-ci a la particularité d'avoir une arrière-cour déguisée en ruelle napolitaine, avec linge étendu au-dessus des tables. Les entrées sont très copieuses et délicieuses, et si les plats et pâtes sont ceux qu'on attend de tout bon resto italien, les "Rigatoni al Ragu (My Father's Style)" méritent d'être mentionnées. Peut-être à la catégorie "Qu'est-ce que c'était bon. Où est-ce que je peux faire la sieste?"

Un Lieu Musical:

Smalls, au croisement de West 10th St et 7th Avenue (www.fatcatjazz.com).
La petite cave à Jazz comme on l'imagine: un peu cracra, peuplée d'afficionados dont la moitié ont l'air d'insomniaques discutant avec Dieu, et où le whisky est toujours bon. Une sélection toujours excellente, et des sets qui finissent bien après à minuit.

Une Photo:

La vue de mon toit au petit matin. Avril 2007.

Chronique New Yorkaise #1

(Le 1er Septembre)

Il y a sept jours j’ai posé mes bagages dans mon appartement New Yorkais après un été au cours duquel j’ai voyagé d’une ville où l’on entre dans le métro sans franchir de tourniquet (Berlin, étonnant mélange de responsabilité individuelle et de liberté) à un pays où des vigiles armés d’Uzi vous fouillent à l’entrée des centres commerciaux (Israël, société fascinante rongée par la guerre), en passant bien sûr par ma ville, Paris, reine de beauté et de cynisme.

À l’orée de mon quatrième semestre au Hunter College et alors que ces différentes expériences voyagent toujours en moi, je redécouvre New York City, ville insensée s’offrant en spectacle à elle-même. Je me sens finalement à point pour écrire et partager. Une anecdote, une sensation, un plan resto, une expression. Amoureux de la Big Apple, bienvenus à bord des Chroniques New Yorkaises by Jonas Pariente.

Je n’en suis plus à mon coup d’essai ici, pourtant c’est toujours la même chose qui me saute en premier aux yeux et à l’esprit : la folle diversité du paysage humain New Yorkais. Les rues de Manhattan sont les allées d’un supermarché de l’Homme et de la Femme, il y en a pour tous les goûts, toutes les couleurs, ils ont même pensé à des trucs qu’on n’aurait pas imaginés.
Le week-end dernier je suis descendu bruncher dans mon quartier (East Village). Autour de moi on pouvait trouver un couple d’Israéliens, la cinquantaine relax ; un tandem de potes, l’un asiatique, l’autre blanc ; un couple de gays ; une tablée de six jeunes femmes commentant probablement la soirée de la veille. Le soir même je passais la soirée avec un groupe de Serbes dans un quartier Grec du Queens.

(Le 2 Septembre)

J’étais parti pour une virée photo, mais la magie de Tompkins Square Park et de l’East Village me fait rester. Je me suis posé à une de ces tables en pierre dans lesquelles sont incrustés des échiquiers.
Quelle atmosphère incroyable. J’ai l’impression que New York est concentrée ici. Nous sommes dimanche et veille de jour férié (« Labor Day »), un calme joyeux baigne dans l’air. Un couple de sexagénaires type cousins de Woody Allen jouent au Gin Rami ; deux beaux mecs jouent aux échecs, la copine de l’un deux est plongée dans son bouquin ; un rastafari à la peau très claire et aux dreadlocks enroulées en turban passe entre les tables, un poste de radio à l’oreille. On lui demande le score du match des Yankees. Ils gagnent.


Un Restaurant:

Momofoku Noodles Bar, au croisement de la 1st Avenue et East 10th St (www.momofuku.com).
Le lieu est minuscule et la moitié des clients sont assis au bar. Ce sont ceux-là qui ont de la chance, car le spectacle offert par les cuisiniers et le Chef (qui goûte tous les plats avant qu'ils sortent) ajoute une dimension à la qualité déjà supersonique du repas. Le Ramen, grosse soupe au miettes de porc frit, petits pois, onions et oeuf poché, est si bon que la salive me coule presque de la bouche au moment où j'écris.

Un Lieu Musical:

Le Rockwood Music Hall, sur Allen St entre Houston St et Stanton St (http://www.rockwoodmusichall.com/).
Ce petit café-concert est sobre et cosy pour mieux laisser la place aux bandes qui se succèdent chaque soir. C'est peut-être du haut de sa niche/régie sonore, que Ken, le patron, renifle les talents comme ça. En tout cas, pour un verre de vin ou un whisky en écoutant de talentueux inconnus, le Rockwood est une valeur sûre.

Une Photo:

Mon amie Nikki, à Williamsburg, Brooklyn, Mai 2007.